samedi 6 mars 2021

Catherine Meyor (1956-2019) Mémoire de la générosité


 

"Nous avons tous vécu le caractère irréductible voire inéluctable d’un sentiment, d’une émotion, d’un désir. Nous avons aussi, tous, alors que nous vivions telle ou telle situation qui nous a transportés, fait l’expérience de la vanité d’un énoncé venant d’autrui — parent, ami, enseignant, compagnon — qui tentait de nous détourner de ce sentiment, en évoquant son étrangeté, sa dérision, sa stupidité, son insanité ou sa folie. Qui n’a pas, à cet instant, ressenti la radicalité de ce qu’il éprouvait, fait l’épreuve de l’impossibilité de changer ce qui était ressenti et alors de l’impossibilité de s’en défaire ? Mais encore, qui n’a pas ressenti au même moment la valeur de ce sentiment et entrevu la forme d’un monde ordonné par ce sentiment ? Et enfin, qui n’a pas cherché à nourrir ses sentiments, ses émotions et ses désirs par l’échange avec autrui, par la lecture, la musique, le théâtre ou le cinéma, etc. ?" Catherine Meyor, Comprendre l'affectivité

Catherine Meyor nous a quitté il y a deux ans. La mémoire de sa grande capacité d'accueil envers la communauté lors de ses années à l'Arche, de ses amitiés ici et ailleurs, de ses collègues de travail à l'Université Laval, à l'UQAM et dans le réseau de l'Université du Québec et ailleurs dans le monde, à l'Association de l'EAU, en France, ainsi qu'auprès des personnes en fin de vie de même que dans le monde du théâtre lors de ses dernières années, tout cela m'éclaire et m'habite.

J'ai eu le privilège de bénéficier de l'accueil personnel de Catherine pendant près de 20 ans. Un bonheur conjugal, intime, affectif, sentimental, humain et amical au cours duquel nous avons appris à nous apprécier et nous aimer. Les formes de notre relation ont évolué selon nos cheminements personnels et les circonstances professionnelles. Lors de la dernière année, alors que j'ai estimé que le moment était venu de le faire, j'ai eu la chance de lui exprimer mon appréciation d'absolument tous les moments que nous avions passés ensemble, de tout ce que nous avions partagé, y compris les moments plus exigeant au plan humain.

"L’affectivité me permet d’abord d’être, de posséder une identité. Elle me permet aussi de donner sens et valeur aux choses, elle m’ouvre un monde — pas n’importe lequel, faut-il le préciser ? — où je ne saurais vivre n’importe quoi : elle m’oriente ainsi bien plus qu’elle ne m’autorise, en toute liberté et au-delà de toute injonction ressentie, de choisir. En m’assignant une identité, elle fait de moi un sujet ; en me donnant l’opportunité d’expérimenter le sens et la valeur des choses, elle m’inscrit dans un monde différencié, « différant » ou encore marqué d’une esthétique donnée ; en me donnant à ressentir, elle m’astreint à l’épreuve de la joie, de la souffrance. En m’habitant, elle m’affecte en termes « pathiques » comme elle affecte l’image que je me forgerai en retour du monde dans lequel j’habite moi-même." Catherine Meyor, Comprendre l'affectivité

Maintenant, je souhaite partager une pensée ou deux à l'intention de ses étudiantes et étudiants, lectrices et lecteurs. Catherine a été une brillante intellectuelle et académicienne et je crois que vous apprécierez ces quelques souvenirs.

Lorsque Catherine corrigeait les copies des travaux de ses étudiantes et étudiants, elle s'installait à son bahut. Il y avait 4 piles: à corriger, le recto, le verso puis corrigés. Elle corrigeait debout, inlassablement, tant qu'elle en avait l'énergie, puis elle recommençait le lendemain. Pour le reste, je m'occupais de son confort.

Pour les mémoires, thèses de ses étudiantes et étudiants, articles, c'était tout aussi charmant. La table, les tables, bibliothèques, canapés se couvraient de piles variées, avec des notes ici et là, des post-it, des livres avec pleins de repères. Catherine travaillait avec entrain et sérieux. Parfois, elle partageait avec moi les passages les plus prometteurs. J'ai eu la chance d'être le premier lecteur de plusieurs de ses oeuvres. Son intelligence m'a toujours ébloui et ému.

Dans la deuxième moitié de sa carrière, Catherine s'est intéressée en priorité à l'expérience affective des étudiantes et étudiants, et des élèves de manière générale. Elle a découvert leur détresse et souffrance d'apprenant. Apprendre peut être intéressant et agréable, mais force est de reconnaître que bien que nécessaire, le parcours est exigeant.

On ne peut parler de l'amour de Catherine sans mentionner l'amour filial entre elle et sa mère. C'est le plus bel amour qu'il me fut donné de contempler. À toutes les semaines, Catherine prenait un quart-heure, une demi-heure pour parler au téléphone avec sa miata. Je les entendais dialoguer, elles étaient heureuses. Quel bonheur!

Catherine a été une formidable amoureuse et rétrospectivement, je comprends mieux le langage de son amour et de son affection. Dites-vous bien lorsque aurez l'occasion de la lire, qu'elle avait à cœur non pas de vous convaincre ou de vous expliquer, mais plutôt de cheminer avec vous.

Je vous souhaite une bonne journée!

François Poulin